Vous avez sans doute entendu de ChatGPT et/ou de DALL⋅E. Il s'agit d'Intelligences Artificielles (selon une certaine définition de « intelligence artificielle »), capables pour l’une de rédiger des textes construits et pour l’autre de créer des images, à partir d'une simple demande de l'utilisateur en langage naturel. Par exemple : « Écris-moi un poème sur les suricates » ou « dessine un terrier de suricates urbains ».
Qui se cache donc derrière ChatGPT et DALL⋅E ? Il s'agit d'OpenAI, une entreprise basée à San Francisco et fondée le 11 décembre 2015 qui est spécialisée dans l’intelligence artificielle. Les fondateurs ne sont pas des inconnus puisque ce sont des personnalités importantes du monde de la tech : Elon Musk, le patron de Tesla et SpaceX, Peter Thiel, le cofondateur de PayPal et Sam Altman, le dirigeant d’un incubateur de startups prisé. Avec un premier a-priori sur la dangerosité de l’intelligence artificielle comme l’indiquait Elon Musk sur Twitter, OpenAI a été créé dans un premier temps sous forme d’association à but non lucratif en 2015. En 2019, l’association a souhaité trouver une stabilité financière en attirant des investisseurs, elle est alors devenue une société « à but lucratif plafonné » . OpenAI affichait à ses débuts l'ambition de porter une révolution de l'intelligence artificielle pouvant profiter à toute l'humanité.
Une avancée technologique
Il faut reconnaître que les résultats des essais peuvent sembler impressionnants, à première vue. Il n’a donc fallu que deux mois pour que ce logiciel soit de toutes les conversations, dans le monde professionnel comme dans l’éducation ou dans la sphère personnelle.
OpenAI a été propulsée grâce à un dérivé du modèle de langage GPT-3.5 (Generative Pre-trained Transformer). Ce langage est sous licence propriétaire et appartient à OpenAI. Cette troisième version de GPT permet de prendre en compte une consigne sous forme de texte pour générer une suite à un contenu ou pour l’étoffer, ou encore pour le reformuler. Ainsi, l’algorithme est capable de traduire une simple demande écrite en un contenu spécifique : poème, article, code informatique, etc. Il est notamment utilisé par le logiciel ChatGPT.
ChatGPT permet d’écrire des textes longs pouvant servir d’articles de journaux ou de lettres de motivation, mais aussi des textes plus courts, voire des sortes de petites discussions entre la personne humaine et la machine. (D’où son nom de « chat ».) Le fond est tout aussi divers que la forme, les outils créés avec le langage GPT permettent par exemple de créer des scénarios de jeux de rôles. Bien qu’initialement ChatGPT ne semble prendre en compte que l’anglais, diverses langues sont compatibles (espagnol, allemand, français, italien et bien d’autres). Le logiciel ne comprend cependant pas la langue qu’il utilise et se contente de répondre à la demande utilisateur.
Récemment, le langage GPT-3 a permis à un développeur de concevoir un assistant vocal plus performant avec une conversation plus riche que ceux des acteurs principaux du marché.
DALL⋅E de son côté fournit des images soit photoréalistes, soit semblables à des dessins, des croquis, des schémas, etc. La fidélité à de grands courants artistiques est également rendue possible tout comme l’imitation de styles de certains artistes. Encore une fois, les résultats correspondent globalement à ce qui est demandé par l’humain, la compréhension du langage naturel est bien gérée. La production des images est aléatoire et il n’est pas possible d’obtenir deux fois le même résultat. En somme, ces spécimens ont l’air d’avoir une valeur unique.
GPT-4 est en cours de conception bien que sa date de sortie publique soit pour le moment inconnue. Cette version devrait être capable de prendre en charge non seulement du texte et de l’image, mais aussi de l’audio et de la vidéo. Le langage serait d’ores et déjà disponible pour une poignée d’internautes depuis 2022. Il est attendu pour le grand public probablement pour 2023.
Cependant, la technologie n’est pas encore tout à fait au point et des améliorations seraient envisageables. Du côté de ChatGPT, il existe encore des problèmes de logique. Les formules mathématiques simples sont bien assimilées, mais les problèmes plus complexes ou les énigmes plus naturelles ne sont pas comprises. Par exemple, à cette classique devinette :
Quant à DALL⋅E, ses images, en particulier les photoréalistes, s’approchent souvent de l’erreur de la nature et du cauchemardesque : visages déformés, membres surnuméraires, collages aberrants, etc. Les styles artistiques ne sont parfois pas respectés ou semblent inconnus de l’IA qui tente de s’en approcher, mais connaît des échecs. Il est alors facile de ressentir une certaine frustration face à un résultat peu fidèle aux attentes.
On peut penser que ces problèmes seront corrigés au fur et à mesure de l’utilisation des outils. En effet, ces derniers sont censés apprendre et engranger des données à chacune de leurs utilisations. Ce sont véritablement les utilisateurs qui « nourrissent » et enrichissent le logiciel (fournissant au passage un travail gratuit). L’avenir, avec une éventuelle sortie de la version 4 du langage GPT, nous dira si si des corrections significatives seront appliquées pour palier aux déficiences de l’algorithme.
Toute technologie dispose également et malheureusement d’un revers. C’est notamment le cas pour ChatGPT puisque des hackers malveillants tentent de s’en emparer et de l’utiliser afin de créer des programme malveillant (malware). Le danger est réel, car ChatGPT offre la possibilité à des novices de les créer. La multiplication des malwares est par ailleurs facilitée grâce à l’intelligence artificielle qui peut en créer rapidement et sans fin.
Nous avons aussi tous fait au moins une fois l’expérience d’une tentative d'hameçonnage (pishing). Grâce à la formulation correcte des textes de ChatGPT, le risque grandit de se méprendre sur la nature d’une arnaque.
La société spécialisée en cybersécurité Check Point Research a par ailleurs révélé que les données personnelles peuvent être siphonnées par l’algorithme du logiciel puisque tout internet est effectivement la base de données où il puise ses ressources informationnelles.
Une avancée sociale
L’avènement des intelligences artificielles et leur prise en main aisée par tous suggère une nouvelle révolution, dans le domaine de l’informatique. En théorie, elles apparaissent comme un apport considérable et facilitateur dans de nombreux domaines. Mais ces outils d’intelligence artificielle sont aussi perçus comme des avancées sociales.
En effet, ils permettent de donner (actuellement) un accès à une certaine forme d’art, gratuitement et sans limites de talent ou de connaissance. Au-delà du domaine du loisir auquel cela peut s’apparenter, différents milieux professionnels usent de l’intelligence artificielle comme d’un outil de travail. Ainsi, les domaines du design, du marketing, de la publicité, de l’architecture ou même de l’art y trouvent de la valeur ajoutée. D’autres domaines encore comme celui des jeux vidéos ou du cinéma pourraient trouver un avantage à son utilisation pour la création d’arrière-plans.
Ils sont aussi vus comme des moyens de réduire la charge de certaines personnes. Sylvain Sarrailh, du studio toulousain Umeshu Lovers, annonçait que le studio se sert de l’IA pour la création de planches d’inspiration ou pour tester des gammes de couleurs. Il a précisé qu’il s’agit d’une évolution des outils disponibles et pas d’un remplacement de l’acte de création. De même, certains développeurs utilisent l’IA pour rédiger de nombreuses lignes de codes sans effort. Des community managers s’en servent aussi pour alimenter leurs publications régulièrement ou encore, des communicants puisent leur inspiration dans l’IA pour trouver des slogans.
Cependant, beaucoup de polémiques ont été soulevées par l’utilisation de ces programmes.
Tout d’abord, l’entraînement de DALL⋅E : pour arriver à produire ces dessins et photos, l’outil a dû étudier les œuvres de nombreux autres artistes. Certains de ces artistes considèrent cela comme une utilisation professionnelle sans accord préalable et sans contrepartie financière de leurs œuvres. Trois artistes américaines ont lancé une action commune en justice.
Ensuite, l’entraînement de ChatGPT : là encore, l’outil analyse beaucoup de textes à sa disposition. Y compris des textes comportant des idées inacceptables pour une vie en société. Afin d’éviter que ChatGPT se transforme en outil véhiculant des propos discriminatoires ou violents, OpenAI a fait appel à des humains. Des travailleurs précaires kényans, payés une misère pour être exposés aux pires des textes. (Il y a quelques années déjà, Microsoft avait vu sa propre intelligence artificielle devenir l’équivalent de la lie de l’humanité après avoir été exposé à internet pendant 48 h.)
Autre problème rencontré, cette fois indépendant des créateurs : la triche. Certains individus s’approprient des textes écrits par l’intelligence artificielle. Dans les universités des États-Unis et d’Australie, l’outil a été interdit ; dans les universités françaises, il est signalé comme facilement repérable. L’enseignement supérieur n’est pas le seul domaine concerné. Le journal en ligne CNET, qui avait utilisé l’IA pour remplir certains de ces articles, sans le notifier à ses lecteurs, a dû faire marche arrière suite à l’alerte lancée par un internaute.
En plus des points exposés ci-dessus, il existe deux autres grandes problématiques qui auront des impacts sociaux et sociétaux plus profonds et plus étendus dans le temps.
La première concerne l’existence d’un grand flou juridique sur les droits d’auteurs liés aux contenus produits par ChatGPT, DALL⋅E et leurs concurrents. À qui appartiennent les droits d’exploitations d’un dessin ? OpenAI ou la personne qui en a fait la demande ? On pourrait espérer que les contenus produits de cette manière s’élèvent directement dans le domaine public, pour réutilisation libre et gratuite, mais actuellement rien n’a été clairement défini.
La seconde problématique concerne le travail, l’emploi et le chômage. Il y a actuellement, avec les outils d’IA et précédemment avec l’apparition des « robots », une inquiétude des travailleurs de perdre leur emploi. On pourrait espérer au contraire voir l’apparition des machines pensantes comme une libération, « travailler moins, pour vivre plus ». Encore faut-il pour cela envisager un meilleur partage des ressources et des produits. Quant à l’IA elle-même et son utilisation actuelle, elles sont focalisées sur l’art plutôt que sûr l’allègement des tâches pénibles, répétitives, ou bien avec peu de valeur ajoutée. Il serait encore une fois préférable de libérer les humains de ces tâches et leur permettre de mettre la main dans des domaines plus appréciables pour des créatures sentientes, comme l’art ou l’artisanat.
En conclusion
L’apparition des outils d’intelligence artificielle (selon une certaine définition de « intelligence artificielle ») apportent leurs lots d’interrogations et de bonnes et mauvaises nouvelles. Elles ouvrent le champ des possibles tels des piliers d’inspiration, s’intègrent en véritables outils dans certaines professions, ouvrent les portes de la créativité aux non-initiés.
Concernant OpenAI, son modèle économique et la licence utilisée (propriétaire) sont discutables. Selon l’ambition des dirigeants de la société à but lucratif plafonné, les IA étaient destinées à profiter à l’Humanité et non pas à un système capitaliste. Pourtant, OpenAI vend le pouvoir de ces technologies à Microsoft.
Comme l’ont montré les exemples précis ci-dessus, ChatGPT et DALL⋅E posent de nombreuses questions au niveau éthique : appropriation culturelle, exploitation de travailleurs, création d’applications malveillantes, vol de données personnelles, etc.
La puissance de ces technologies se traduit par leur impact très important dans de nombreux domaines, à la fois technologiques et sociaux.
À nous, en tant que personnes, en tant qu’acteurs de la société, de nous y intéresser et d’y apporter nos points de vue, nos évolutions, nos propositions. Parce que nous serons tous concernés, directement ou indirectement, immédiatement ou à long terme.
Pour aller plus loin
https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2023/01/22/on-va-gagner-tellement-de-temps-les-apprentis-sorciers-de-chatgpt61588354500055.html
https://www.lemonde.fr/pixels/visuel/2023/01/21/intelligence-artificielle-chatgpt-ouvre-t-il-une-nouvelle-ere61587724408996.html
https://www.lemonde.fr/pixels/article/2023/01/20/a-qui-appartiennent-les-textes-et-les-images-generes-par-une-intelligence-artificielle61587154408996.html
https://blogs.mediapart.fr/lucie-conjard/blog/030417/intelligence-artificielle-raison-et-sentiments
https://siecledigital.fr/2023/01/17/chatgpt-azure-openai-service/
https://www.presse-citron.net/un-artiste-banni-son-oeuvre-ressemblait-trop-a-celle-dune-ia/ - https://www.courrierinternational.com/article/discorde-ce-tableau-a-ete-concu-par-une-intelligence-artificielle-ca-saute-aux-yeux
https://www.forbes.fr/technologie/midjourney-lia-la-grande-faucheuse-des-creatifs/
https://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-13-projets-open-source-qui-transforment-l-ia-et-le-ml-88130.html
https://blog.desdelinux.net/fr/inteligencia-artificial-mas-conocidas-usadas-ia-codigo-abierto/
https://siecledigital.fr/2022/12/28/que-nous-reserve-lintelligence-artificielle-en-2023/
https://www.cnetfrance.fr/news/dall-e-lensa-lamda-chatgpt-les-enjeux-ethiques-des-ia-generatrices-d-images-ou-de-textes-39952616.htm
https://www.latribune.fr/technos-medias/informatique/chatgpt-copilot-comment-microsoft-a-touche-le-jackpot-avec-openai-947169.html
https://www.zdnet.fr/actualites/chatgpt-microsoft-pret-a-investir-10-milliards-dans-openai-39952354.html
https://www.charentelibre.fr/sciences-et-technologie/intelligence-artificielle-on-vous-explique-la-revolution-chat-gpt-13661881.php
https://www.lebigdata.fr/tout-sur-openai
https://www.challenges.fr/high-tech/intelligence-artificielle-pourquoi-microsoft-fait-les-yeux-doux-a-chat-gpt_842239
https://www.latribune.fr/technos-medias/openai-veut-sortir-une-offre-payante-de-l-intelligence-artificielle-chatgpt-947648.html
https://www.zonebourse.com/actualite-bourse/OpenAI-pionnier-de-l-intelligence-artificielle-suscite-les-convoitises--42730563/