Dans la mouvance des (gros) éditeurs opensource dont les logiciels sont massivement exploités dans le cloud, Redis vient d'annoncer le changement de licence de son logiciel phare : Redis.
En parallèle de cela, de plus en plus d'éditeurs se positionnent sur une stratégie open-core. Si la démarche est acceptable, le curseur entre version libre et version propriétaire est très difficile à placer car l'enjeu est clair : si l'on veut vraiment jouer le jeu du logiciel libre avec ce modèle économique, il faut que la version libre soit réellement utile - donc proposer suffisamment de fonctionnalité, tout en rendant la version propriétaire attractive pour ses clients.
Gitlab fait partie de ces éditeurs qui ont trouvé un bon positionnement du curseur.
Ceci dit, dans la plupart des cas, le sentiment que j'ai est que le côté opensource est avant-tout une démarche type opensourcewashing.
Durant son alternance en partie faite à Algoo, Sarah LUCCA (qui est toujours dans l'équipe et c'est tant mieux !) a fait une étude comparative des modèles économiques du logiciel libre. Ce qui ressort de cette étude dans les grandes lignes est
- que les éditeurs de logiciels libres ne manquent pas de créativité pour trouver des mécanismes de financements et c'est tant mieux
- que les raisons de venir au logiciel libre sont très variables - ce qui fondamentalement n'a rien d'étonnant.
Si je grossis le trait, aujourd'hui, je vois 3 typologies d'acteurs sur cette thématique du logiciel libre vs logiciel propriétaire :
- les gros éditeurs qui se font grignoter des parts de marché et qui finissent tôt ou tard par passer sur des modèles open-core voire complètement propriétaire. Ce sont généralement des éditeurs qui ont levé des fonds à un moment ou à un autre. Les investisseurs qui participent à ces tours de tables sont généralement attirés par le gain financier. C'est leur rôle dans le système économique : ils investissent avec objectif d'avoir un bon retour sur investissement. En contrepartie, l'entreprise dans laquelle ils investissent peut (mieux) se développer économiquement.
- les petits éditeurs qui font du logiciel libre aussi par conviction. Algoo en fait partie. En tant que seul actionnaire, j'ai toujours refusé de faire entrer des investisseurs pour ne pas perdre de vue la raison d'être de l'entreprise. C'est aussi pour cette raison que nous sommes désormais dans une démarche de transformation en SCOP, même si la démarche est plus longue que prévu - j'y reviendrai dans un prochain billet.
Face à cela, on trouve des libristes farouches qui n'ont aucune responsabilité financière sur les épaules mais "qui savent ce que les entreprises devraient faire". C'est louable et vertueux mais il est toujours plus facile d'avoir des idées quand on n'a pas à en porter la responsabilité. C'est d'ailleurs aussi une des raisons qui m'ont poussé en tant que dirigeant d'Algoo à avoir une organisation la plus horizontale possible et à aller vers un statut de SCOP.
Cela ne garantira pas qu'Algoo fera toujours du logiciel libre ; mais ça me semble être la meilleure assurance que ça sera le cas.
La réalité économique, c'est que les métiers du numérique sont en tension. Les salaires sur le marché sont extrêmement attrayants - il faut donc en face pouvoir les payer. Et le modèle économique des purs players du libre repose sur un accord tacite : payer le juste prix.
Personnellement, je trouve ça extrêmement difficile, d'autant que le moindre faux-pas peut aller dans différentes directions problématiques pour la pérenité de l'entreprise et donc pour assurer la responsabilité vis à vis des salariés.
- passer en propriétaire, c'est le risque de voir apparaître un fork (enfin, c'est bien souvent largement plus qu'un risque : c'est ce qui se passe)
- augmenter ses tarifs, c'est le risque de voir ses clients partir - car ils ne sont généralement pas verrouillés contrairement aux logiciels propriétaires
- développer une solution performante totalement libre, c'est aussi le risque de se créer une concurrence à bas coût : une strucutre fait l'investissement en R&D et d'autres récupèrent le fruit du travail et l'exploitent sans avoir ni investi, ni pris de risque.
Trouver le bon équilibre est extrêmement difficile ; c'est aussi ce qui fait l'intérêt de mon métier.
Ce qui se passe aujourd'hui avec Redis, c'est une concurrence à bas coût car sans investissement R&D. C'est ce qui s'est passé par le passé avec MongoDB, Elastic. Amazon fait partie de ces acteurs qui provoquent la migration de gros projets libres vers des licences propriétaires.
Ce n'est pas bien ou mal, c'est comme ça que les choses se déroulent.
Tant que la part du gâteau n'est pas très grosse, tout va bien. Peu de monde se bat pour les miettes.
Mais quand le gâteau commence à être sympa, c'est plus la même.
À cette étape, ça devient la responsabilité des clients de savoir s'ils veulent vraiment du logiciel libre.
Ce que je tournerais autrement pour clarifier ma pensée : il faut cibler des clients responsables et engagés si l'on veut perdurer dans le domaine du (véritable) logiciel libre.
C'est ce qu'on essaie de faire, à l'échelle d'Algoo, au quotidien.
La route est longue, mais la voie est libre 💪